La Venoge

On a un bien joli canton :
Des veaux, des vaches, des moutons.
Du chamois, du brochet, du cygne,
Des lacs, des vergers, des forêts.
Du tabac, du blé, de la vigne.
Mais jaloux, un bon Genevois
M'a dit, d'un petit air narquois :
« Permettez qu'on vous interroge :
Où sont vos fleuves, franchement »
Il oubliait tout simplement

La Venoge

Un fleuve ! En tout cas c'est de l’eau
Qui coule a un joli niveau.
Bien sûr. C'est pas le Fleuve Jaune.
Mais c'est à nous, c'est bien vaudois.
Tandis que ces bons Genevois
N'ont qu'un tout petit bout du Rhône.
C'est comme : « Il est à nous le Rhin »
Ce chant d'un peuple souverain.
C'est tout faux car le Rhin déloge.
Il file en France, au Pays-Bas.
Tandis qu'elle, elle reste là.

La Venoge

Faut un rude effort entre nous
Pour la suivre de bout en bout.
Tout de suite on se décourage.
Car au lieu de prendre au plus court.
Elle fait de puissants détours.
Loin des pintes, loin des villages.
Elle se plaît à traînasser
A se gonfler, à s'élancer
— Capricieuse comme une horloge —
Elle offre même à ses badauds
Des visions de Colorado

La Venoge

En plus modeste assurément.
Elle offre aussi des coins charmants.
Des replats, pour le pique-nique.
Et puis, la voilà, tout à coup
Qui se met à faire des remous
Comme une folle entre deux criques.
Rapport aux truites qu'un pêcheur
Guette, attentif, dans la chaleur
D'un oeil noir comme un oeil de doge.
Elle court avec des frissons.
Ça la chatouille, ces poissons.

La Venoge

Elle est née au pied du Jura.
Mais, en passant par La Sarraz,
Elle a vu, battant la campagne,
Qu'un rien de plus, crénom de sort
Elle était sur le versant nord :
Grand départ pour les Allemagnes.
Elle a compris, elle a eu peur,
Quand elle a vu l'Orbe, sa sœur -
Elle était aux premières loges -
Filer tout droit sur Yverdon,
Vers Olten elle a dit : pardon

La Venoge

Le Nord, c'est trop froid pour moi.
J'aime mieux le soleil vaudois.
Et puis comme on dit : « Je fréquente »
La voilà qui prend son élan
En se tortillant joliment
Elle n'a qu'à suivre la pente.
Mais la route est longue, elle a chaud.
Quand elle arrive, elle est en eau
— Face au pays des Allobroges
Pour se fondre amoureusement
Entre les bras du bleu Léman

La Venoge

Pour conclure, il est évident
Qu'elle est vaudoise cent pour cent.
Tranquille et pas bien décidée.
Elle tient le juste milieu.
Elle dit : « Qui ne peut ne peut
Mais elle fait à son idée.
Et certains, mettant dans leur vin
De l’eau, elle regrette bien
— C'est ma foi, tout à son éloge —
Que ce bon vieux canton de Vaud
N'ait pas mis du vin dans son eau.

La Venoge